mercredi 29 avril 2009

La méthode du parapluie

En 1991, un an avant de créer le "Quai des Bulles" à Saint-Malo, le dessinateur Fournier était venu à Nancy pour une séance de dédicaces. Super cadeau au collègue chargé du papier de circonstance : il offre au journal, et donc aux lecteurs, un petit Spirou inédit. Oui,mais... Voila-t-il pas qu'au moment de la mise en page, un secrétaire général de rédaction adepte de la méthode dite du parapluie maximum s'avise que l'irrévérencieux dessinateur a utilisé pour désigner notre vénérable publication le surnom que tout le monde emploie, sauf la patronne qui, paraît-il, l'avait en horreur. Alors son croquis passera aux oubliettes, parce qu'on n'est jamais trop prudent. Et c'est votre serviteur qui le récupérera...

Promis-juré, tout ça, c'est de l'histoire, et aujourd'hui plus aucun journaliste ne réagirait de la même façon. Si, si, on vous le jure !

La Sarkozie est une épreuve,même en province !

La préfecture du département où paraît le journal qui m'emploie a eu l'honneur, la semaine dernière, de recevoir le secrétaire d'Etat à la Fonction publique, André Santini, venu vendre aux fonctionnaires du cru les charmes de la « révision générale des politiques publiques ». Ce qui a donné lieu à un sketch qui nous surprend encore, même si nous en avons déjà connu beaucoup en matière d'autocensure, tentative de censure et amicales pressions. Allez, je vous raconte.

Ça commence le jeudi. Mon rédacteur en chef adjoint préféré (il n'y en a que deux, c'est facile) a reçu un coup de téléphone du service de presse du ministère des Finances, dont dépend le secrétaire d'Etat à la Fonction publique. Service de presse qui l'informe du déplacement prévu et lui propose "en exclusivité" (!) une interview de Santini. Interview, façon de parler: on écrit les questions, on les envoie par mail et le ministère nous réexpédie les réponses. Saine réaction de mon rédacteur en chef adjoint vénéré : non, merci, on préfère avoir Santini au téléphone et noter nous-mêmes les réponses. Je vous explique le truc : on sait très bien que lorsqu'on prend des réponses écrites, elles ne sont pas rédigées par l'interviewé, mais par ses conseillers, et lues et relues par tout un staff. Autant proposer au gouvernement d'écrire lui-même le journal, quoi. On s'est encore fait avoir comme ça il y a deux ou trois mois par le cabinet de Roselyne Bachelot, et j'avais alors informé mes rédacteurs en chef, adjoints ou pas, que je ne marcherais plus dans cette combine. Message reçu, apparemment.

Grognements du « chargé de presse », que nous appellerons Benjamin; mais, bon, finit-il par craquer, puisque vous y tenez... Je passe les détails, mon adorable rédacteur en chef adjoint me refile le bébé, le rendez-vous téléphonique est calé pour le vendredi à 10 h, etc. Seulement, me dit tout à trac le Benjamin, il faut qu'il puisse relire le texte avant parution. Mon inestimable rédacteur en chef adjoint avait dit oui, mais il avait oublié de m'en avertir. Bon! OK, admetté-je avec une patience qui m'étonne encore, mais si il y a des corrections, elles ne porteront que sur des chiffres ou des termes administratifs que j'aurais pu mal comprendre. D'accord ? D'accord, pas de prob' !

L'entretien, que je prends soin d'enregistrer sur mon vieux dictaphone, se déroule tout bien, je transcris le tout, un poil de mise en forme, et voilà. J'expédie le paquet à mon Benjamin…

Je pense qu'à ce stade du récit, ce n'est pas la peine de vous faire un dessin : lundi matin, je trouve dans ma boîte mail l'interview toute réécrite, avec des tas de phrases que Santini n'avait pas dites et, à l'inverse, sans un certain nombre de termes qui figurent bien sur mon magnétophone. Du genre « foutoir » (pour qualifier l'administration française) ou « remettre de l'ordre » (pour résumer un aspect de la réforme). Illico, j'informe mon brave Benjamin, avec copie à mon sémillant rédacteur en chef adjoint (je commence à manquer d'adjectifs), qu'il n'a pas respecté nos conventions et qu'il peut donc aller se brosser : « Je vous rappelle toutefois que nous avions convenu que les corrections ne pourraient porter que sur des aspects techniques ou administratifs ; nous conserverons donc l'essentiel des formules utilisées par M. Santini, en nous reportant au verbatim de l'interview. »

Mais c'est qu'il est tenace, le Benjamin ! Durant toute la journée, il nous assaille de coups de fil, en protestant qu'il est « responsable de la parole de l'Etat », qu'il doit respecter un « protocole », que ceci, que cela... Mon inestimable rédacteur en chef adjoint a tenu bon, et malgré un dernier mail comminatoire parvenu à la rédaction à 20h30 (« Vous ne pouvez publier l’interview d’André Santini sans notre validation. Merci de publier l’interview validée et envoyée vendredi 17 avril en fin de journée et seulement cette version. »), on publiera bien dans l'édition du mardi la vraie interview. Qui, d'ailleurs, ne comporte vraiment aucune révélation susceptible de me donner le Pulitzer.

Voilà une petite histoire assez édifiante sur les pratiques de la Sarkozie. Benjamin avait en effet raison sur un point : la quasi-totalité des confrères, surtout nationaux, respecte sa règle du jeu et ne publie les paroles des éminences qu'avec imprimatur. En outre, aujourd'hui, non seulement ces interviewes « officielles » sont revues avant publication, mais elles sont soumises au préalable au contrôle du service de presse du Premier ministre lui-même. Bref, la mission d'information de la presse devient un acte de communication gouvernementale. Et les équipes des ministres tombent des nues quand on leur oppose une résistance, si infime soit-elle. Alors, sur ce coup-là, merci à mon respecté rédacteur en chef adjoint qui n'a pas cédé à la facilité. Et dire qu'avec tout ça, on n'a même pas fait tomber le gouvernement !

lundi 13 avril 2009

Un très bon souvenir


Rencontre en Belgique, en janvier 1981...
Frédéric Pottecher est mort le 13 novembre 2001.

C'était qui, au fait ?
Ben, cherchez un peu, bande de jeunots !
(Photo Michel Cossardeaux)

Un sale souvenir, parmi d'autres

"Nous sommes une entreprise moderne", disait-il devant les chefs de service et les chefs d'agence silencieux. Et quelques minutes plus tard : "Je ne crois pas qu'une femme puisse diriger un service d'hommes." Une amabilité entre mille autres à l'égard de celle qui lui avait succédé à la tête du service des sports. Lui, on ne sait par quelles intrigues, était devenu rédacteur en chef - du moins le croyait-il, inconscient hochet agité par un patron tellement plus malin que lui !

De cette réunion dont je ne me rappelle plus le prétexte, la consœur est sortie lessivée, malade, en larmes. Et à une exception près, l'aréopage est resté muet.

Cela ne remonte pas au XIXe siècle. C'était au début de notre vaillant XXIe siècle. Cet homme-là, aujourd'hui, est un paisible retraité qui consomme gentiment ses indemnités de départ. Parmi ceux qui assistaient à cette séance, beaucoup sont encore en place dans l'entreprise moderne. La plupart sans doute ont oublié cet incident.

Je ne me suis pas levé, je n'ai pas quitté la pièce, moi non plus. Je me contente juste de ne pas serrer la main de ce personnage quand je le croise par hasard. C'est tellement peu...

Bye bye, Claude !

A la fin de 2007, le journal qui m’emploie a connu son tremblement de terre. D’entreprise familiale depuis des lustres, il est brusquement tombé dans l’escarcelle d’une banque. Et franchement – au début –, on a plutôt bien aimé…

C'est vrai, la famille P... a rendu les armes en empochant le pognon. Bye bye Claude, on ne vous regrette pas ! Le maire de Metz ne peut plus téléphoner directement au 5ème étage du journal comme le faisait son prédécesseur, hier ou avant-hier. Et, tiens, on va le dire : ça y est, on est une entreprise jeune et moderne, décomplexée et bien dans son époque.


Ce qui veut dire : du pipole à tout va, en poussant à fond les manettes pour "organiser le buzz" et faire cliquer l'internaute sur nos pages web. Ça ne rapporte pas un rond, mais c'est moderne.

Ça veut dire, aussi, sous une apparence de liberté retrouvée, une gestion du personnel, pardon : un management pour lequel seule compte la rentabilité à court terme. Faut-il faire un dessin ? Des effectifs constamment orientés à la baisse, une politique salariale dégagée des conventions sociales et fondée sur le « mérite » (c’est-à-dire à la tête du client), la polyvalence à tout va…

Le journal était géré par des épiciers qui, entre deux calculs d’intérêts, se piquaient de politique locale. Il est aujourd’hui tenu par des banquiers qui se soucient comme d’une guigne de la qualité de ce qu’ils vendent : la seule chose qui compte, c’est vendre.