vendredi 11 décembre 2009

– 7 650 euros

Les patrons des entreprises de transport viennent d'obtenir un gros cadeau du gouvernement, en échange, en principe, d'un petit coup de pouce aux salaires des routiers. Et j'entends ricaner le café de la presse, prompt à dénoncer les privilèges et les compromissions.

Holà! Calmez-vous, camarades: les journalistes sont-ils bien placés pour jouer les chevaliers blancs? Beaucoup de gens, même dans ma famille, ignorent que nous disposons d'un étonnant avantage. Chaque année, en établissant notre déclaration de revenus, nous en déduisons d'office 7 650 euros. Au titre d'une «allocation forfaitaire pour frais d'emploi», qui nous permet de réduire significativement le montant de notre impôt sur le revenu.

Ce dispositif est l'héritier d'une mesure instituée en... 1934, pour permettre aux patrons de presse de ne pas trop indemniser les journalistes pour les différents frais qu'ils étaient amenés à engager. En fait, de la même façon que le gouvernement Fillon vient de faire les yeux doux aux patrons camionneurs, le gouvernement de l'époque s'achetait la sympathie à la fois des patrons de presse et des journalistes. Et de fait, les patrons ont souvent justifié la «modération salariale» en utilisant ce hochet de luxe, au point de supporter à la fin des années 90 plusieurs mouvements de grève quand la droite et le sénateur Charasse ont cherché à le supprimer. Je me rappelle sans honte excessive comment, à l'époque, mandaté par la CFDT, j'accompagnai mon excellent camarade Maurice P., délégué syndical SNJ, dans le bureau du député François Guillaume pour plaider notre cause!

Pour les pigistes, pour les webjournalistes payés au lance-pierre, pour les consœurs et confrères employés par des associations ou des mouvements peu fortunés, cette niche fiscale reste bienvenue, ce qui nous aide à garder la conscience tranquille. Et puis, dans l'entreprise qui m'emploie comme dans beaucoup d'autres, le patron se réfugie derrière la crise pour refuser cette année toute augmentation salariale collective, ce qui réactive les motivations de 1934.

Autrement dit, ce «privilège» n'en est pas vraiment un. Il n'empêche que cela reste une anomalie dont nous devons nous souvenir au moment de porter un jugement sur les revendications des uns et des autres. Non?

mardi 1 décembre 2009

Du télégraphe optique à Twitter

J'aime bien le point de vue de Stéphane sur la microcosmique discussion qu'a provoquée mon coup de gueule du 25/11 (http://www.stephanegetto.com/article-relations-presse-et-twitter-toujours-pas-convaincu-40258873.html). Cela dit, il ne faut rien exagérer. Il n'y a rien – soyons francs: pas grand-chose – de personnel dans tout ça. Mais un problème de fond, sûrement. Et ça n'est pas l'éternelle bataille des anciens et des modernes; réduire le dossier à ça est une facilité pour ceux qui n'ont pas envie de réfléchir sur l'usage qu'ils font de la technique.

Twitter me fait penser à ce que faisaient les reporters d'Europe «numéro un» en mai 1968: grâce à eux, les étudiants-diants-diants pouvaient suivre en temps réel les mouvements des forces de l'ordre dans les rues du Quartier Latin. Le transistor remplissait alors le rôle que peut assurer aujourd'hui Twitter.

Dans un domaine plus dramatique, après les élections présidentielles, les contestataires iraniens ont pu communiquer avec l'Europe grâce à Twitter, alors que le gouvernement croyait avoir tout bloqué.

Là, oui, oui, oui, le télégraphe optique, puis la radio, puis les SMS, puis Twitter... en attendant les futures avancées de la technique, oui, tous ces moyens de communication ont été ou sont bénis.
Pour le reste, je maintiens qu'il est à long terme dommageable pour l'ensemble de la société, et avant tout pour la démocratie, que l'on confonde le débat et le bavardage, l'information et l'air du temps, la rapidité et l'immédiateté.

Quant aux journalistes, ils (et donc "je", pour ceux qui me reprochent de jouer au donneur de leçons) méritent souvent les reproches qui leur sont adressés.Parce qu'on va trop vite, parce que nos moyens se réduisent, parce qu'on cède quelquefois au «à quoi bon»,parce que nous ne sommes que des femmes et des hommes là où l'on croit avoir affaire à des institutions. Mais tant qu'il y aura des journalistes, la mission d'informer sera palpable. Tant qu'il y aura des journalistes, on pourra exiger d'eux qu'ils prennent leurs responsabilités et les juger sur la façon dont ils les assument. Paradoxe: le jour où l'on admettra que seule compte «l'opinion publique» brute, on renoncera aussi à la démocratie. C'est mon avis, et je le partage!