samedi 26 février 2011

Crise de nerfs

Il s'est passé pas mal de choses depuis la grève intersyndicale qui a paralysé la presse quotidienne régionale le 18 février dernier. La dépêche suivante de l'AFP résume assez bien la situation et se passe de commentaires, je pense. Une seule précision: l' "individu" dont il est question a entre les mains le sort de quelque 52 000 salariés.

Le Républicain Lorrain va être vendu, confirme le patron du Crédit Mutuel
(AFP, 25 février 2011, 18h38) Le président du Crédit Mutuel, Michel Lucas, a confirmé vendredi qu'il voulait vendre le quotidien Le Républicain Lorrain, racheté par la banque en 2007, car selon lui le personnel n'a pas respecté un accord tacite qu'il avait avec lui.

"La boîte étant redressée, j'estime que le Crédit Mutuel a fait son boulot. Aujourd'hui elle peut être vendue, en conséquence de quoi elle va être vendue", a affirmé Michel Lucas, lors d'une conférence de presse à Bischoffsheim (Bas-Rhin), au centre de formation du groupe bancaire dont le siège est à Strasbourg.

Il a confirmé avoir annoncé cette décision au personnel lorsqu'il s'est rendu en début de semaine au siège du journal à Woippy, près de Metz.

M. Lucas a dit à demi-mots que sa décision avait été prise après une grève sur les salaires observée au journal le 18 février, à l'appel d'un mot d'ordre syndical national concernant l'ensemble de la presse régionale et départementale.

Selon lui, ce conflit a constitué une infraction à un accord conclu avec le personnel, qui prévoyait que les conflits devaient se régler en interne.

"J'ai dit (au personnel) : +Vous ne m'intéressez plus en tant qu'individus, car le deal humain qu'il y avait entre nous, vous l'avez coupé+", a dit Michel Lucas devant la presse. "Les augmentations de salaire, elles ont toujours été négociées en interne", a-t-il ajouté.

Interrogé par ailleurs sur les propos qui lui ont été prêtés par les syndicats de vouloir se désengager du rachat en cours de L'Est Républicain de Nancy et des Dernières Nouvelles d'Alsace de Strasbourg, il n'a pas clairement confirmé ni démenti.

"A la date d'aujourd'hui je ne me sens pas concerné par des trucs qu'on raconte à droite ou à gauche dans ces sociétés où nous ne sommes pas", a-t-il déclaré.

vendredi 18 février 2011

Sarko à l'école de Ben Ali

L'excellent journal qui m'emploie a publié, dans son édition du 17 février 2011, une interview du ministre tunisien du Tourisme, venu en France faire de la retape pour rameuter les clients. J'y relève ce savoureux extrait:
«L’entretien que nous avons, par exemple, aurait-il pu avoir lieu [sous la dictature de Ben Ali] ?
– Jamais. Un coup de fil à un ministre, sans relecture de l’article, sans s’être jamais vus et en passant par un attaché de presse, jamais cela n’aurait été possible avant. »
Vivement la fin du régime Sarkozy, pour qu'on puisse en dire autant en France ! Vous ne me croyez pas? Relisez donc mes aventures avec l'excellent Santini; je vous jure, c'est du réel - et du courant.

Petits jeunes et petits chefs

La grève dont il était question dans mon précédent billet paralyse aujourd'hui le journal qui me fait l'honneur de m'employer. Le mouvement est exceptionnellement bien suivi, non seulement dans le collège technique - où la tradition est bien établie - mais aussi à la rédaction, ce qui est peut-être plus inattendu. Le premier motif de la grogne est apporté par le refus du patronat de mettre en œuvre une politique salariale décente dans l'ensemble de la branche professionnelle. Mais d'autres colères, plus difficiles à exprimer, me paraissent sourdre dans cette mobilisation. L'exaspération de journalistes qui se sentent déconsidérés, l'incompréhension face à un actionnaire qui proclame qu' «un journal est un entreprise comme les autres», l'outrance d'un management qui se voudrait à l'américaine... et le vertige ressenti face à la destruction des entités locales et culturelles que constituent les entreprises de presse régionales, appelées à se fondre dans un magma destructeur.

En attendant, le spectacle du jour est réjouissant. Cet événement permet de mesurer les petits courages et les grandes lâchetés des uns et des autres, ceux qui affichent leurs opinions – quelles qu'elles soient – et ceux qui se trouvent opportunément de vieux jours de congé à récupérer, les petits jeunes qui osent pour la première fois de leur carrière élever le ton et les petits chefs qui rasent les murs... La comédie humaine est inépuisable.

jeudi 17 février 2011

J'aimerais bien faire grève, mais j'ose pas!

A l'appel d'une large intersyndicale (CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO, SNJ), un mouvement de grève national est annoncé pour ce vendredi 18 février dans l'ensemble de la presse quotidienne régionale. Réponses à quelques questions entendues ces jours-ci de la part de mes collègues.

C’est quoi, cette grève ?
Un mouvement national, déclenché par l’ensemble des syndicats de la presse quotidienne régionale, avec l’ambition de provoquer le plus possible de non-parutions de journaux régionaux samedi. L’intersyndicale négocie depuis des semaines avec le syndicat patronal de la presse quotidienne régionale, le SPQR, pour un accord salarial plus que modeste : il ne s’agit que d’obtenir des augmentations salariales équivalentes à l’inflation. Le SPQR ferme toutes les portes… Après plusieurs tentatives de renouer le contact, l’intersyndicale n’a plus que le moyen d’une grève nationale pour se faire entendre.
Au Républicain Lorrain, on n’est pas trop concerné.
Faux ! Le RL, comme tous les autres journaux dépendant du Crédit Mutuel, est toujours tenu d’appliquer au moins les accords de branche signés par le SPQR.
Oui, mais on n’est pas si mal payés…
Primo, tout le monde n’est pas à la même enseigne dans l’entreprise. Il n’y a pas eu de révision significative et collective des salaires depuis l’arrivée de la nouvelle direction, et la plupart des salariés embauchés depuis quatre ou cinq ans (voire plus ?)  stagnent au bas de l’échelle. Deuxio, la négociation actuelle engage l’avenir : si les syndicats n’arrivent pas à imposer un seuil décent, le précédent sera reconduit dans les années à venir.
Je ferais bien la grève, mais j’ai peur d’être tout seul (dans mon équipe, dans mon agence), et donc d’être mal vu-e-.
Si tout le monde attend que les autres se décident, évidemment, on n’avancera jamais. Si je suis tout seul, je peux toujours discuter avec mes collègues pour qu’ils me rejoignent… En tout cas, tout le monde a le droit de se mettre en grève, sans risquer de sanction. Si un supérieur hiérarchique tente de faire pression pour que vous ne vous mettiez pas en grève, n’hésitez pas à prévenir un représentant syndical.
J’aime mon entreprise, et ça m’embête de lui causer du tort.
Moi aussi ! Ce n’est jamais de gaité de cœur qu’on se met en grève. Mais un petit mal peut entraîner un grand bien : en rappelant que les salariés ont la capacité de s’exprimer, on prépare l’avenir. Il faut savoir que le dialogue social au RL  s’est fortement dégradé, et il est donc dans l’intérêt de tous de montrer que nous sommes encore capables de nous mobiliser.
Je suis journaliste ou employé-e- ; si les rotativistes bloquent la machine, il n’y aura pas de parution et ce n’est donc pas la peine que je fasse grève.
C’est le plus mauvais des raisonnements ! Sauf si ça ne vous gêne pas que ce soient toujours les autres qui fassent le boulot pour vous. Question d’amour-propre !
Merci Bernard, tu m’as convaincu-e-. Que dois-je faire ?
Formellement, rien, juste rester à la maison ou aller à la pêche ce vendredi. Mais comme on n’est pas des sauvages,  il est correct d’avertir son supérieur hiérarchique, ne serait-ce que par un coup de fil ou un mail…