samedi 9 février 2013

« Les syndicats ne font rien...»

Ça fait trop longtemps que je ronge mon frein; alors voilà: je l'avoue, je suis fatigué. Fatigué de me faire apostropher dans les couloirs, au téléphone ou sur la boîte Outlook, fatigué de me faire engueuler (même gentiment) par des employés et des journalistes – surtout des journalistes – sur le thème: «Ma carrière est bloquée, mon salaire reste au plancher, mon chef me brime, etc... et les syndicats sont inefficaces!»

Pour les visiteurs, il faut préciser que je suis syndiqué. Et même syndicaliste, élu au comité d’entreprise du Républicain Lorrain, ancien délégué, tout ça... Je suis membre de la section CFDT de l'entreprise. Depuis longtemps. Dans une autre configuration, j'aurais tout aussi bien pu être CGT, ou SNJ, ou autre chose. Mon adhésion à la CFDT, je la dois à un journaliste qui a disparu en mer, au large de Tahiti, dans les années 90, et qui dès le début de ma carrière dans les Ardennes m'avait transmis son enthousiasme et son amour de la vie. Il s'appelait Jean-Marie Hanot et était le frère de l'artiste Pierre Hanot, ceci dit pour les Mosellans.

Syndiqué, donc, avec une ou deux valeurs simples, l'idée qu'on ne peut pas surnager tout seul (sauf à appuyer sur la tête du voisin), que dans une boîte (et plus généralement, dans la société) on est embarqué sur une galère qui impose un minimum de solidarité, et qu'on doit un jour succéder aux générations qui se sont battues avant nous. Ça ne me paraît pas très compliqué.

Revenons-en donc à mes gentils collègues. Ceux qui ne sont pas syndiqués, mais qui attendent tout du syndicat. Je ne leur en veux pas de ne pas partager toutes mes «valeurs» – après tout, aucune vérité n'est définitive. Mais je supporte de plus en plus mal cette interpellation: «Vous, les syndicats, vous ne faites rien!»

Admettons. OK, nous, «les syndicats», ne sommes pas à la hauteur. Mais avant de nous engueuler, posez-vous la question: c'est qui, c'est quoi, «les syndicats»? «Les syndicats», ce n'est pas une institution tombée du ciel qui doit fonctionner d'elle-même. Vous n'êtes pas satisfaits de la façon dont «les syndicats» fonctionnent, et surtout des résultats qu'ils obtiennent – ou pas? Vous avez raison! Vous voulez être mieux informés, mieux défendus, mieux considérés? Vous avez raison!

Mais ces putains de syndicats dont vous dénoncez avec justesse la faiblesse, ils ne sont que ce que vous en faites. Nous n'avons que les syndicats que nous méritons. Si vous continuez à regarder la poignée de syndicalistes se débattre comme ils peuvent, en restant les bras croisés et le regard narquois à attendre qu'ils se noient à leur tour... N'attendez pas que la direction vous remercie pour votre passivité, vous coulerez avec le bateau!

Vous voulez des syndicats plus forts, plus écoutés, plus efficaces? C'est chacun de vous, chers collègues, qui a la solution. Quand vous serez à l'intérieur des syndicats, et non plus sur le bord du torrent à regarder s'essouffler les rameurs, alors vous aurez raison de critiquer, et mettre en œuvre le fruit de vos critiques. Prenez votre vie en main, vivez, au lieu de subir et de jouer les assistés! Je ne vous demande même pas de rejoindre la CFDT, qui n'est ni meilleure ni pire que les autres. Syndiquez-vous où vous voulez, à la CFDT, au SNJ, à la CGT, créez une section SUD ou ce que vous voulez si vous le préférez, mais prenez-vous en main! Et je vous le promets, vous ne serez pas seuls. A vous de voir; moi, je vous le dis, je suis fatigué...

En prime, un poème de Pablo Neruda qui me semble assez bien dans le contexte. Ne me remerciez pas.
 Il meurt lentement
Celui qui ne voyage pas,
Celui qui ne lit pas,
Celui qui n’écoute pas de musique,
Celui qui ne sait pas trouver grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
Celui qui détruit son amour-propre,
Celui qui ne se laisse jamais aider.

Il meurt lentement
Celui qui devient esclave de l’habitude
Refaisant tous les jours les mêmes chemins,
Celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
De ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu.
Il meurt lentement
Celui qui évite la passion
Et son tourbillon d’émotions
Celles qui redonnent la lumière dans les yeux
Et réparent les cœurs blessés.

Il meurt lentement
Celui qui ne change pas de cap
Lorsqu’il est malheureux
Au travail ou en amour,
Celui qui ne prend pas de risques
Pour réaliser ses rêves,
Celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
N’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant

Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite !

Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !