mardi 13 janvier 2015

Je suis Charlie, je ne suis pas Cabu

Jamais je n’avais imaginé que je reviendrais à ce blog à l’occasion d’un bain de sang. D’ailleurs, je n’ai pas très envie d’ajouter ma sidération au déferlement d’éditos, commentaires, messages, discours qui se bousculent depuis une semaine, dont beaucoup disent ce que je ressens bien mieux que je n’en serais capable.

Juste un souvenir, le souvenir de la belle grande marche de dimanche dernier dans les rues de la ville. Il faisait froid, mais un brin de soleil et un temps sec nous ont aidés à piétiner, quasi immobiles, entre les places Mazelle et de la République. Heureux d’être présents, debout, sans slogans définitifs, avec un peu trop de drapeaux peut-être – mais ils étaient agités, pour une fois, avec les meilleures intentions du monde. 40 000, 45 000, 50 000 personnes ordinaires : voilà ce qui comptait, nous étions des citoyens ordinaires réunis dans la cité.

Pourtant, pendant et au lendemain de ce rassemblement, quelques amis se sont étonnés : « Pourquoi n’es-tu pas venu avec les collègues à la tête du cortège ? » J’en suis d’abord resté bouche bée. Pas un instant je n’avais pensé à cela ! Pourquoi aller se faire voir au premier rang ? Pour représenter la profession, pour incarner la liberté d’expression, pour incarner la démocratie et le droit à la vérité ?  Mais ce qui était justement merveilleux en ce 11 janvier 2015, c’était que toutes ces valeurs fussent la propriété générale de tout un peuple ! Les journalistes n’en sont, à l’occasion, que les vecteurs.

Et puis, retombons sur terre. Je ne suis qu’un petit journaliste dans un petit journal, dont l’esprit de résistance n’est pas précisément la vertu cardinale. (Depuis 6 ou 7 ans, ce qui lui restait d’originalité et d’identité se dissout lentement dans un grand magma inconsistant, dans l’indifférence générale, ce qui conforte encore plus mon humilité.) Je ne doute pas, vraiment pas de la sincérité de mes consoeurs et confrères qui ont cru bon de parader en agitant les Unes de Charlie et en assurant le monde entier de leur combat pour la République. Mais nous autres, journalistes du quotidien local, de l’hebdo départemental, de la télé régionale ou des radios plus ou moins libres, ne sommes pas du même monde que Charb, Cabu, Wolinski, Maris et les autres. Nous sommes des petits, tout petits, et nous ne devons pas en avoir de complexes, car nous pouvons être utiles à la société. Et si un jour nous risquons notre vie, ce sera plus sûrement dans un accident de voiture que face à des kalachnikovs. Au pire, nous subissons la violence verbale de quelques bas-du-front, ce qui n’est pas vraiment terrifiant.

Alors… Ne frimons pas trop, faisons notre boulot et profitons de cet instant de grâce où les lecteurs, les non-lecteurs, les écriverons et les fabricants d’images se sont anonymement et fraternellement retrouvés. Personnellement, ça me suffira, tant que, grâce à la République, des faibles d’esprit ne réussiront pas à m’interdire de lire ce que je veux lire, penser ce que je veux penser et aimer qui je veux aimer.