jeudi 25 mai 2017

Pari impossible ?

Ça n’a pas traîné. Une semaine après la formation du gouvernement, le ministre de la Cohésion des territoires inaugure le feuilleton des affaires promis à La République en marche ! Certes, c’est dans le domaine privé que Richard Ferrand aurait organisé au profit de sa compagne une affaire immobilière légalement correcte, mais moralement douteuse. Cet « arrangement familial » ne met pas en jeu les fonds publics… Mais les révélations du Canard enchaîné jettent un vilain doute sur le rapport à l’argent de ce très proche d’Emmanuel Macron.

A peine l’encre de l’hebdo du mercredi était-elle sèche qu’ont retenti les premiers appels à la démission du ministre. Marine Le Pen, qui a ouvert le feu, n’est pas la mieux placée, étant elle-même dans le collimateur de la justice. « On ne demande pas à Guy Georges ce qu’il pense de l’affaire de Montigny », ironisait hier un internaute inspiré. Le Mouvement des jeunes Socialistes est plus pertinent en évoquant la « crédibilité » du gouvernement, au moment où François Bayrou lance l’opération « moralisation de la vie publique », emblématique du nouveau quinquennat. Et bien que la droite ne se sente toujours pas trop à l’aise après le désastre des affaires Fillon, François Baroin se demande tout de même à voix haute si Richard Ferrand est bien en mesure d’exercer ses responsabilités.

Le gouvernement fait le dos rond, persuadé que l’affaire fera pschitt si le dossier ne s’alourdit pas. Ferrand sera sauvé au moins jusqu’aux législatives, mais LRM n’est déjà plus préservée du climat général de suspicion. Il est probable que d’autres bombes plus toxiques éclateront encore. Le Président le sait, les Français ne lui passeront rien. Le pari de la République irréprochable serait-il un pari impossible ?
Le Républicain Lorrain, 25 mai 2017

mardi 16 mai 2017

Tout changer pour que rien ne change...

Quatrième tour

Certains départs à la retraite sont plus amers que d’autres. François Hollande s’attend à affronter un « sentiment de vide » quand il aura laissé les clefs de l’Elysée à son ancien ministre de l’Economie. Au moins échappe-t-il au cauchemar : ce n’est pas à la patronne de l’extrême droite qu’il confiera les codes de l’arme atomique.

Pour autant, la passation des pouvoirs de demain est-elle celle dont il rêvait ? Certains l’affirment. Non seulement sur les réseaux du web à l’imagination fertile, mais aussi dans quelques cercles intellectuels d’obédiences diverses, une thèse fâcheuse fait son chemin. Macron, plus acceptable par l’opinion que la droite dure et que la gauche dite radicale, aurait été la solution montée par une alliance objective des « réformistes » et des « sociaux libéraux ». Une théorie que rien n’étaye, mais que les faits ne contredisent pas non plus.

Pour l’instant en tout cas, la succession Hollande-Macron ne promet pas une véritable rupture. Dans la forme, la pratique d’En Marche ! apparaît spectaculairement innovante ; sur le fond, ce qu’on sait des intentions du Président porte à croire qu’il compte poursuivre – plus radicalement, si possible – la politique économique et sociale amorcée par lui-même sous l’autorité de Manuel Valls. La ligne du PS-canal historique annoncée par Bernard Cazeneuve, « ni vraiment dans l’opposition ni dans la majorité », parle d’elle-même : les problèmes ne viendront pas de ce côté.

Cette autre version du « ni-ni », que partagera une partie de la droite si le choix du Premier ministre lui convient, va rassurer les milieux d’affaires et les libéraux. Mais elle pourrait aussi entraîner, après les législatives, un quatrième tour social périlleux. On comprendrait que François Hollande préfère le laisser à son successeur.
(Le Républicain Lorrain, 13 mai 2017)

En attendant le Premier ministre de droite :

Les transfuges


Comment, dans 577 circonscriptions, présenter autant de femmes que d’hommes, et autant de « civils » que de politiciens ? Imposer la parité à un total impair, c’est une prouesse arithmétique qu’Emmanuel Macron est sur le point de réussir… en ne présentant pas d’adversaire face à Manuel Valls. Une promesse tenue !
Ce n’est pourtant pas pour cet amusant exercice que l’on retient la mansuétude de La République en marche envers l’ancien Premier ministre, humilié mais pas condamné. La première fournée de candidats aux législatives marchant derrière Macron est fortement teintée de rose très pâle, ne serait-ce que par le brevet accordé à 24 députés sortants prêts à troquer le soutien du PS contre la marque à la mode. Vingt-quatre députés triés sur le volet, exempts évidemment de tout soupçon de fronde, et tous adeptes du social-libéralisme imposé à la gauche depuis 2012 par Valls, Hollande et son spin doctor, Gaspard Gantzer, qui a, lui aussi, déposé son CV avec succès.
D’ici à mercredi prochain, après la nomination du nouveau Premier ministre, l’attribution des 148 circonscriptions encore dépourvues de candidats macronistes permettra sans doute à la droite LR et UDI de placer sur l’échiquier quelques transfuges qui se diront « modérés ». On voit bien quelle majorité le nouveau Président souhaite construire, pas si représentative de « l’ensemble du spectre politique républicain » que ne l’affirme son bras droit Richard Ferrand.
Restent 223 « civils », qui n’ont jamais exercé de mandat électoral. Ils seront plus nombreux encore quand le casting sera clos. Quel que soit le sort que leur réserveront les électeurs, leur présence est de loin l’aspect le plus intéressant de la pratique inventée par En marche ! Mais quant à s’imposer face aux professionnels de la politique qui s’incrustent… On leur souhaite bon courage.
(Le Républicain Lorrain, 12 mai 2017)
 L'élection présidentielle, et l'occasion de rappeler l'épisode Haby-Politanski au conseil général de Meurthe-et-Moselle. Capillotracté ? Bof...

Vox populi

Les voix de l’électeur sont insondables ; l’Histoire en témoigne incontestablement. L’élection en 1848 de Badinguet qui, de Président, devint l’empereur Napoléon le Petit, dissuada pendant 114 ans la République de recourir au suffrage universel pour désigner son chef. Plus près de nous, Charles de Gaulle, tellement certain d’être élu qu’il négligea de faire campagne, fut scandalisé d’être mis en ballottage en 1965. En 1997, les électeurs privèrent Jacques Chirac de majorité après une dissolution baroque. Le référendum de 2005 sur la Constitution européenne donna encore une belle occasion aux Français d’humilier les élites. En Alsace, quelques-uns ne se sont jamais remis du vote des Haut-Rhinois contre le projet de fusion des départements, en 2013. Quant aux primaires de 2016 et 2017, dont les votants infligèrent une cruelle leçon aux sondeurs et aux éditorialistes…
Même les grands électeurs se livrent parfois à des caprices inattendus. A Nancy, quelques anciens racontent encore comment, en 1979, le communiste Bogdan Politanski fut élu président du conseil général de la Meurthe-et-Moselle grâce à deux bulletins blancs émanant de la majorité de droite, l’ancien ministre René Haby, qui avait ourdi la manœuvre, s’étant emmêlé les pieds dans les règles de calcul. On n’oubliera pas non plus la prise de pouvoir de Gérard Longuet au conseil régional de Lorraine en 1992, au détriment de Jean-Marie Rausch… Et, vous savez quoi ?, il n’est pas vraiment sûr que tout soit bien clair dans l’élection de la déléguée de classe de la 4e 2.
Quoi qu’il en soit, l’article III de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 nous le rappelle avec insistance : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. » Aussi insondable soit-elle !
(Le Républicain Lorrain, 6 mai 2017)