mardi 13 novembre 2018

A propos du centenaire de l'Armistice. Cet épisode m'a été signalé par l'historien meusien Pierre Vermeren.

Les vies gaspillées

Morhange, Les Eparges, Verdun, la Somme… Le périple commémoratif du président de la République parcourt les traces ensanglantées des « vies gaspillées » de la Première Guerre mondiale. Rien n’est de trop pour honorer les combattants sacrifiés il y a cent ans sur l’autel de la patrie. Mais aura-t-on dimanche une pensée pour les toutes dernières victimes du massacre, envoyées au casse-pipe sans autre raison que l’orgueil de généraux ivres de haine et de rêves de gloire ?
C’est aux soldats américains de la 89ème  division US que l’on songe ici, et aux Allemands qui leur faisaient face. Cette tragédie s’est déroulée dans la matinée du 11 novembre 1918, sur les rives de la Meuse. Bien qu’ils fussent informés de l’imminence de l’Armistice, les généraux William M. Wright et John Pershing ordonnèrent la prise de la petite ville de Stenay pour permettre à leurs hommes d’y trouver… des bains-douches. On dénombra 300 victimes dans les rangs américains, et on ignore les pertes exactes chez l’adversaire. En réalité, nous disent les archives américaines, Pershing voulait infliger aux Allemands une ultime et sévère correction parce qu’il trouvait trop douces les conditions de leur défaite.
Cette absurde bataille fut probablement la dernière du conflit sur le sol français, et reste encore aujourd’hui couverte d’un voile de honte. Elle n’est pas la plus meurtrière des quatre années du grand cauchemar, mais quel hommage assez digne peut-on rendre à ces hommes qui sont morts alors que les Alliés avaient déjà gagné la guerre ? Wright et Pershing n’ont rien à envier aux généraux Joffre et Foch, qui quatre ans plus tôt avaient couvert de leur autorité la catastrophe de Morhange. Clemenceau savait de quoi il parlait lorsqu’il s’écria que la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires. Un siècle plus tard, qui nous dira ce qu’il en est ?
(Le Républicain Lorrain,  6 novembre 2018.)

Unis, forts et lucides

Nous étions quatre millions sur les places de France, le 11 janvier 2015, abasourdis et révoltés, pour signifier aux assassins de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes qu’ils ne gagneraient jamais. Nous ignorions que dix mois plus tard, l’horreur se renouvellerait, dans les rues de Paris et les travées du Bataclan. Et qu’un prêtre serait assassiné dans son église, que la promenade des Anglais deviendrait un lieu de cauchemar ou que le sang coulerait encore à Carcassonne ou à Trèbes. Nous étions quatre millions au coude à coude, unis dans la douleur et dans l’amour de la République.

Vivrons-nous aujourd’hui un mardi ordinaire ? Cela ne se peut pas. Pour Marie, Mathias, Anne, Milko, Thomas, Salah, Justine et tous les autres, massacrés ou marqués dans leur chair le 13 novembre 2015, pour les sauveteurs et les policiers traumatisés à vie, pour nos libertés que des fanatiques voulurent nous contraindre à abandonner, nous avons le devoir de nous souvenir. Et de rester unis, forts et lucides face à la menace toujours rampante.

L’État islamique et Daech, nous dit-on, ont perdu leurs forces sur les champs de bataille d’Irak et de Syrie. L’état d’urgence a été levé, au prix d’un renforcement permanent des pouvoirs de la police et de l’administration. Car si l’on ne craint plus trop les commandos pilotés depuis Mossoul ou Raqqa, les services de renseignement mettent en garde contre les initiatives des « radicalisés » de tout poil, sortant de prison ou rongeant leur frein devant les écrans d’internet. Il n’est pas nécessaire de disposer d’une puissante infrastructure pour se suicider au milieu d’une foule.

Rester unis, forts et lucides sans cesser de défendre les libertés publiques, sans céder à la démagogie. Nous le devons à Anne, Mathias, Marie, Milko, devenus pour toujours nos frères, nos sœurs, nos enfants.
(Le Républicain Lorrain, 13 novembre 2018.)