dimanche 29 novembre 2020

Circulez, y'a rien à voir ! 

Le 27 novembre 2020, j'ai été "missionné" par la CFDT-Journalistes pour porter la bonne parole au cours du rassemblement organisé à Metz contre la loi "Sécurité globale". Je ne fais pas ça tous les jours, alors pour que ça ne se perde pas, je copie-colle.

 

Cher(e)s ami(e)s,

Vous le savez, hier, la Nation a rendu hommage à Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, et à travers lui à la Résistance. Aujourd'hui, c’est l'héritage de la Résistance que nous avons à défendre, ici et dans toute la France.

Photo Maury Golini.
L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, mardi, une véritable « loi scélérate ». Une loi de circonstance.

Des syndicats de policiers s'inquiètent de la fracture croissante entre le peuple et les forces de l'ordre. Sans doute ont-ils raison. Mais le gouvernement et les députés de la majorité leur apportent une réponse folle, inconsidérée, démagogique, qui entend réduire nos libertés fondamentales pour assurer une prétendue « sécurité globale ». Adoptée sans aucune concertation avec les acteurs concernés, sans étude d'impact, sans avis du Conseil d’État, cette loi hystérique porterait en elle les germes d'un régime réactionnaire, en rupture avec les principes essentiels de notre République : la liberté d'expression, le droit de manifester, le droit à l'information.

Il faut « protéger ceux qui nous protègent », affirme le ministre Darmanin. Bien sûr qu'il est insupportable que des policiers soient assassinés devant leur domicile, que d’autres soient harcelés, agressés ! Mais les journalistes ne sont pour rien dans ce drame, et il existe assez de moyens pour prévenir et punir les meurtriers. Faut-il une nouvelle loi destinée à « faire peur », alors que le Code pénal et la loi de 1881 sur la liberté de la presse, largement actualisée, punissent déjà – et à juste titre ! - les incitations à la haine et à la violence ?

Que prévoit l'article 24 de la loi « Sécurité globale » ? Un an de prison et 45 000 euros d'amende pour « la diffusion de l'image ou de tout autre élément d'identification des forces de l'ordre en intervention, quand elle porte manifestement atteinte à leur intégrité physique ou psychique ». Concrètement, cela signifie : « Si vous filmez, c'est que vous voulez diffuser. Et si vous diffusez, c'est que vous avez des intentions malveillantes. Donc circulez, y'a rien à voir ! »

Jointe aux articles 21 et 22, une telle disposition est suffisante pour permettre aux forces de l'ordre d'imposer, de façon totalement arbitraire, leur propre vision des événements, créant ainsi ce que Donald Trump appelle « une vérité alternative».

Quelles vidéos, quelles photos ternissent l'image des forces de l'ordre, sinon celles qui témoignent de violences injustifiées, d’entorses au droit, d'abus de pouvoir, de délits de sale gueule – bref, de ce que le ministre ne veut pas qu'on appelle « violences policières » ? En réalité, l'infraction de diffusion malveillante des images de forces de l'ordre vise à empêcher tout contrôle citoyen, et particulièrement le travail des journalistes, en favorisant l'impunité pour les auteurs de violences policières !

Au-delà de cette offensive menée sous prétexte de protéger les forces de l'ordre, se profilent bien d'autres dérives. Ce gouvernement, comme avant lui les gouvernements d’Édouard Philippe, ne parvient pas à cacher sa folle envie de mettre au pas les médias, TOUS les médias, les organes de presse traditionnels comme les sites d'information citoyens. S'il poursuit sur sa lancée, pourra-t-on demain se demander ce que faisait M. Benalla le 1er mai 2018 à la Contrescarpe ? Comment saurons-nous qu'un député lorrain passe son confinement au soleil de la Provence ? Ou que tel autre doit répondre devant la justice d'affaires pas très claires ? Et encore qu'une équipe de fonctionnaires dévoyés, il y a quelques jours, a déshonoré la police en se livrant à des actes racistes et violents ?

La liberté de la presse, corollaire évident du droit de tout citoyen à l'information, ne supporte aucune ambiguïté. La loi « Sécurité globale », si elle est mise en œuvre, permettra tous les arbitraires. Elle offrira aux journalistes le choix entre le silence ou l'autocensure. Et elle refusera aux citoyens l'accès à une information vérifiée et vérifiable, libre et plurielle, condition primordiale de la démocratie et de la liberté. Lorsque l'on prive les citoyens de leur liberté d'être informés, on installe au quotidien la défiance, la peur, le complotisme.

Oui, les forces de l’ordre, comme tous les fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions, doivent pouvoir bénéficier de toute la protection nécessaire, comme chaque citoyen. Mais chaque citoyen est aussi justiciable devant la société, fût-il policier ou gendarme, comme le garantit la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen depuis 1789.

Nous sommes convaincus que cette protection peut être mise en œuvre sans que la France renonce au moindre morceau de sa liberté de l’information, sans qu’elle s’éloigne d’une démocratie ardûment, patiemment et courageusement construite depuis plus de deux siècles.

La proposition de loi a été adoptée mardi par une majorité de députés aux ordres. Mais le combat n'est pas terminé. Le processus parlementaire se poursuit jusqu'au mois de janvier. Il faut obtenir une refonte complète du projet de loi « Sécurité globale » et la suppression pure et simple de l'article 24. Pas un amendement, pas une commission spéciale : LA SUPPRESSION ! Ensemble, continuons cette lutte pour les libertés publiques, contre une République en marche arrière !