jeudi 6 mai 2010

Au revoir, Maurice


Maurice Padiou est mort.

Maurice Padiou, carte de presse n° 21 095, grand reporter, jusqu'en 1997, puis rédacteur en chef au Républicain Lorrain.


Maurice Padiou était pour moi un peu plus qu'un confrère. Depuis son départ à la retraite, en 2003, je n'ai jamais entendu  sans irritation les railleries parfois lancées à son propos. Mais dans ce métier où l'on n'aime parler des confrères que pour les débiner, même les plus féroces avaient du mal à ironiser sur lui. C'est qu'au-delà de ses défauts, car il en avait évidemment, Padiou était quelqu'un de bien, de très bien, et cela ne pouvait échapper à personne.

J'ai personnellement plusieurs dettes envers Maurice Padiou. D'abord parce qu'il tint, en 1996, à me soutenir activement dans un combat difficile. Jean Kiffer, le député-maire d'Amnéville, avait, en mai, publié dans son journal municipal un texte particulièrement injurieux à mon égard et, à travers ma modeste personne, à l'égard de l'ensemble de la rédaction du journal. Sous l'impulsion de Jean Marziou, chef du service des informations générales, 104 confrères avaient aussitôt signé une pétition; et surtout, nous avions monté une action judiciaire assez originale: d'une part, avec le soutien de la CFDT, je portai plainte pour injures publiques; d'autre part, dix-neuf journalistes de la rédaction, soutenus par la CFDT, le SNJ et Force ouvrière, accusèrent Kiffer de diffamation. L'affaire fut gagnée en première instance, en appel et en Cassation, et Kiffer fut condamnée à 23 000 francs d'amende et 10 019 (!) francs de dommages et intérêts...

Maurice Padiou avait tenu à figurer parmi la délégation des dix-neuf. C'était éminemment courageux, alors que la direction du journal considérait l'affaire avec quelque méfiance et qu'il était déjà pressenti pour devenir rédacteur en chef. Je lui en garde une très profonde reconnaissance, comme aux dix-huit autres consœurs et confrères embarqués dans cette histoire de fous. Je lui en garde une reconnaissance d'autant plus vive qu'il ne m'en a jamais demandé la moindre compensation.

Outre cette dette personnelle, j'espère partager avec l'ensemble de la rédaction le respect que l'on doit à un journaliste profondément attaché à notre métier. Qu'il fût grand reporter ou rédacteur en chef, il n'a à ma connaissance jamais manqué à la solidarité professionnelle. Je sais, nous savons qu'après le décès en 1999 de Marguerite Puhl-Demange, P.-D.G. du Républicain Lorrain, il réussit à de nombreuses reprises la tâche délicate de défendre la rédaction, dans l'exercice de ses missions, face à une direction pour le moins erratique.

Les souvenirs se bousculent et je ne sais lesquels privilégier. Militant syndical SNJ convaincu, Maurice Padiou fut aussi, pendant longtemps, le secrétaire du comité d'entreprise du Républicain Lorrain. Il attachait à cette mission un sens très particulier. Tout en manifestant un respect que je trouvais parfois déraisonnable à la personne de Marguerite Puhl-Demange – c'était une autre époque –, il faisait tout pour que la place centrale de la rédaction soit maintenue et respectée. Il manifesta du reste une amertume visible lorsque, après son départ, la rédaction perdit ce secrétariat du CE...

Je me rappelle aussi les négociations que nous menâmes, lui au titre de représentant de la direction, ce qui devait le perturber un peu, mes camarades et moi au nom des syndicats, pour reconstruire une grille des fonctions et des salaires des journalistes de la maison. Dans cette délicate affaire, il sut là encore mêler respect et diplomatie, sans que cela perçât forcément aux yeux de l'entourage.

Et puis tout de même, et puis surtout Maurice Padiou était d'abord un journaliste. Il fut même le dernier rédacteur en chef à écrire régulièrement dans le journal, produisant des éditos dont la longueur rendrait malades aujourd'hui les normalisateurs de l'info, et où il appliquait à l'envi son précepte favori: in cauda venenum. Un chef qui sait écrire, et qui le prouve... Rien que pour cela, on l'aime.

Une seule chose me chiffonne, et j'aurais aimé oser l'interroger à ce sujet: comment s'était-il laissé assez aveugler pour soutenir la candidature de celui qui lui succéda au poste de rédacteur en chef, et qui ne trouva pas d'autre urgence, dès sa nomination, que de baver à longueur de temps sur «l'héritage» afin de masquer sa propre nullité? Une telle erreur ne lui ressemble pas, sauf à admettre qu'étant lui-même exempt de méchanceté, il ne pouvait imaginer telle noirceur chez un confrère.

«Au revoir, Madame», avait-il écrit sur la Une du journal annonçant la disparition de Marguerite Puhl-Demange. Je n'ose pas trop écrire aujourd'hui: «Au revoir, Monsieur».

21 commentaires:

  1. Je viens de découvrir cette triste nouvelle sur ton blog. Je l'ai aussi pratiqué, syndicalement et confraternellement. Il avait des défauts certes mais la somme de ses qualités, tant humaines que professionnelles, les faisait facilement oublier. Je me revois encore dans LE couloir de Woippy, de retour vers la Rédaction après une négociation de droits d'auteur où il représentait la direction au côté du directeur administratif et financier. L'oeil qui frisait et un sourire gourmand au coin des lèvres, il m'avait glissé dans l'oreille un "bravo tu l'as bien eu" que je n'oublierai jamais. Ces félicitations discrètes et sans ostentations, je les ai reçues comme une forme d'adoubement. Tu as raison, c'était un Monsieur.

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  2. Du talent,de l'humour, un professionnalisme exemplaire, du courage, de l'humanité, un sens profond des vraies valeurs, un ardent défenseur de notre métier: c'était Maurice. Un exemple n'est plus, un phare s'est éteint dans la nuit. Mais il nous a montré la voie à suivre. Il en aurait certainement bien ri lui-même, mais c'est un sale temps pour les grues cendrées ! Adieu, mon copain.
    Lionel Willems

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  3. Je ne le connaissais pas, mais j'ai pratiqué la nullité qui lui a succédé (à qui je dois une mutation inexplicable à Saint-Avold), ce qui donne d'autant plus de valeur à cet homme qui pouvait au moins, lui, se prévaloir d'avoir un passé et des choses à raconter.
    Mes pensées vont à ses proches...

    Sincèrement,
    Olivier Pierson.

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  4. Ce que je n'oublierai pas non plus, c'est que Maurice m'a tiré de la précarité journalistique (avec JP Behrlé) comme la quarantaine de confrères et consoeurs du RL embauchée entre 1999 et 2001.

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  5. Jean-Christophe Dupuis-Rémond - France 3 Lorraine7 mai 2010 à 14:51

    Très bel hommage. Et amplement mérité.

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  6. Ce matin, en apprenant cette triste nouvelle, j'ai ressenti un grand vide. Maurice Padiou n'est plus. Pour les jeunes journalistes qui l'ont côtoyé (avant de devenir juste journalistes, plus si jeunes), il aura été un exemple, infatigable narrateur de ses périples au bout du monde. Il nous aura donné l'envie de progresser, la volonté de le faire dans le respect d'autrui. Dans son rôle de chef de file de la rédaction, je ne l'ai jamais vu autrement que pétri d'humanité. Etonnamment, c'est aujourd'hui que ses enseignements (discrets, toujours) se font jour en moi, comme en tant d'autres sans doute.
    Merci M. Padiou, les exemples sont rares dans ce métier où la soif de figurer au premier plan gâche souvent les meilleures âmes… Nous ne vous oublierons pas.
    CGK

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  7. Au revoir à celui qui me recruta au RL, me dénicha une cravate au fin fond de la rédaction pour me présenter à Claude Puhl lors de mon entretien d'embauche, me fit confiance pour couvrir l'actualité économique régionale. Un premier vrai réd chef, ça ne s'oublie pas, même quand on n'est plus journaliste.
    Stéphane Getto.

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  8. Matthieu Villeroy7 mai 2010 à 21:01

    pas forcément de proximité. Mais l'impression d'un vide énorme en apprenant cette nouvelle. Comme un repère qui se dérobe. Dans un métier aux valeurs de plus en plus confuses, un de ces journalistes à l'ancienne. Ceux qui savaient parler en conviction et non (forcément) en intérêt. Merci Bernard pour ce très bel hommage. Tu as raison, c'était un grand bonhomme.

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  9. Eric Fritsch-Renard7 mai 2010 à 23:03

    Je ne l'ai croisé que très brièvement à travers mes activités professionnelles et lors de la dernière campagne municipale.
    Le souvenir d'un œil pétillant de curiosité m'a marqué.
    Merci pour ce texte qui me le fait découvrir.
    Je l'avais croisé très récemment sur un pont à Metz, par un grand soleil, discutant avec vivacité ... la brutalité de sa disparition a gravé cette image dans ma mémoire avec netteté.

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  10. Jacques Gandebeuf8 mai 2010 à 18:14

    J'avais quitté le bateau sans avoir l'occasion de te croiser, mais il me faut te dire que ton papier sur Maurice Padiou m'a beaucoup touché.
    Outre l'envoi d'un exocet apparemment bien ajusté, il me replonge dans l'atmosphère de notre bureau du grand reportage, où, pendant des années, nous avons su confronter en vase clos nos points de vue, sans jamais nous tirer dans le dos une fois sortis de la cage de verre.
    Ainsi était-il moins triste à chacun de garder la maison quand les trois autres étaient partis.
    Ce que j'aimais chez notre ami Padiou, c'est qu'il était le plus courageux, chaque fois qu'il fallait faire face au patron en conservant le minimum syndical de courtoisie. Il savait faire, il savait qu'on pouvait arranger le lendemain les colères de la veille. On le plaisantait parfois pour son côté bavard, mais on n'oubliait pas d'aller le chercher pour régler au dernier étage une engueulade de couloir.
    Devenu retraité, j'allais souvent bavarder avec lui dans son bureau de rédacteur en chef, et il me racontait ses derniers états d'âme, très conscient de voir la profession dépérir. Et puis, on riait un grand coup, en parlant du passé...
    Merci pour ce papier.

    Jacques Gandebeuf

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  11. andré botella9 mai 2010 à 09:21

    Bel hommage à une belle personne..Le depart inanvisageable de Maurice m'a profondément affecté..C'était mon President aux Trinitaires,
    nous y avons mené de nommbreux combats ensemble..Nous nous voyions souvent et en particulier sur les terrains de tennis et à l'Open de Moselle..et bien sur c'etait un combattant de la liberté d'expression..pour reprendre une phrase de ce billet..je lui dois beaucoup aussi et toute la ville de Metz certainement!!

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  12. Maurice, l'une des premières belles rencontres que j'ai vécues au RL.
    Merci Bernard de réveiller quelques souvenirs et de remettre en mémoire avec tant de justesse les qualités humaines et professionnelles de Maurice.
    Mes pensées vont à sa famille.
    B.P.

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  13. Je viens d'apprendre cette triste nouvelle. Maurice, c'était mon voisin d'en face à Plesnois et je le connaissais, nous nous rendions mutuellement de petits services, nous nous invitions à diner et c'était toujours un vrai plaisir que de l'entendre conter toutes sortes d'histoires vécues. Aujourd'hui, j'habite à Nîmes je suis loin géographiquement mais étonnament proche en me rappelant ces souvenirs qui sont encore bien imprimés. Janou je t'embrasse et pense également bien à toi en ces circonstances ainsi qu'à tes enfants que je voyais régulierement lors de leurs visites rue Jeanne d'Arc.

    Manuel Ségeon

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  14. Monique Hecker11 mai 2010 à 15:03

    Merci, Bernard, d'avoir publié ce texte courageux, qui, je pense, émeut profondément tous ceux qui ont connu et apprécié Maurice.
    Sous ses dehors d'homme fort et sa virilité affichée, il cachait, me semble-t-il, de secrètes fragilités. On moquait volontiers ses travers, ses outrances et sa "pugnacité", mais on l'aimait bien.
    C'était un journaliste, un vrai, qui écrivait, avec quelle plume! Il était pétri de culture humaniste, curieux de tout et respectueux de chacun, soucieux d'honnêteté et de vérité. Il a pris les commandes de la rédaction après des années difficiles, qui l'avaient conduite à douter d'elle-même. Il a su lui rendre la place qui doit être naturellement la sienne, au centre du journal, et il n'a cessé de la défendre, avec un courage dont bien peu ont alors soupçonné l'intensité.
    Comme disent les jeunes: "Total respect!"

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  15. Je me joins à l'hommage de Bernard Maillard, Jacques Gandebeuf et Monique notamment. Tout ce qui a été dit et écrit correspond à l'homme qu'était Maurice Padiou. Pour avoir été pendant plus de cinq ans son adjoint à la rédaction en chef je ne peux, aujourd'hui encore, que souligner la grande complémentarité -voire même complicité- qui existait entre nous malgré nos différences Je voudrais encore souligner son humanisme et son attachement à la langue française qu'il défendait avec ferveur et... pugnacité. En lui je perds un confrère de talent, compagnon de route pendant une quarantaine d'années, mais aussi et surtout un ami.

    G. Jacquot

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  16. Je t'aime papi, tu nous manques

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    1. Il nous manque à tous. Son souvenir résiste au temps...

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  17. J'ai souvent croisé Maurice lors d'actions syndicales au sein du SNJ où l'on moquait gentiment sa "pugnacité", l'un de ses mots favoris... La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c'était à Toulon, dans un restaurant du Mourillon en 1995, avec Jean-Baptiste Aniort, peu de temps avant la mort de ce dernier. Grâce à ces heures pleines, je garderai de ces deux hommes l'image de la vie malgré tout. Adieu Maurice, tu as rejoint Jean-Ba, Claude, Lilian, eux aussi trop tôt disparus mais tout comme eux tu auras laissé quelque chose de toi sur cette terre.
    Jean-Claude Olry

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  18. Un papi en or que jamais je ne pourrai oublier ... <3
    Ta petite fille (mais quand même la plus grande) qui t'aime fort et qui espère que tu es fier d'elle

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  19. On sera bientôt le 5 mai et déjà 10 ans que papa sera parti. Je viens de relire tous les commentaires et je ne peux m'empêcher d'avoir les larmes aux yeux. Merci encore pour tous ces hommages émouvants tant sur l'homme que sur le professionnel. Aujourd'hui rédacteur en chef adjoint d'un quotidien national au Luxembourg, je suis moi aussi, après 33 ans de métier, nostalgique de ce journalisme d'investigations, pratiqué avec droiture et honnêteté, que papa incarnait si bien. Nos conversations où nous rêvions d'un journalisme retrouvant ses heures de gloire me manquent profondément. Et bien qu'âgé de 56 ans, et moi-même père de trois enfants, il n'y a pas un jour où mes pensées ne vont pas vers ce papa dont l'absence demeure une blessure qui jamais ne se referme. Il était notre guide, notre lien indéfectible. Il l'est toujours dans nos cœurs, mais son visage, sa voix, sa sagesse et sa force tranquille me manquent, nous manquent à tous. Sa famille, ses amis.
    Quand j'ai le moral en berne, quand la date fatidique approche, je reviens régulièrement sur ce site qui me redonne une bouffée d'oxygène. Merci encore à Bernard Maillard et à tous ceux et celles qui ont écrit.
    GaëlPadiou

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  20. Grand journal à l'époque avec la présence de grands journalistes. Mais faut-il comparer les époques ? Difficile d'autant que vous aviez une grande directrice.E t aussi une certaine façon de concevoir l'info qui n'est plus de mise aujourd'hui : du temps pour travailler les angles, du temps pour l'investigation, du temps pour se relire, du temps pour vivre. Tout cela n'existe plus et le Républicain lorrain n'a pas cessé depuis de baisser en qualité comme en pagination.

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