samedi 20 novembre 2010

Confetti et masochisme

Aujourd'hui, petits veinards, vous aurez droit à une séquence self-people. Dont l'objet est aussi de démythifier un bon coup l'image que vous vous faites, évidemment, du journaliste, grand reporter et baroudeur de l'univers.
Figurez-vous que je viens de jeter un coup d'œil dans le tiroir de ma table de chevet. Vu le foutoir que j'ai découvert, ça devait faire longtemps que ça n'était pas arrivé. Un vrai schoutt, en mosellan dans le texte. 

Et sous les vieux stylos sans encre, les photos oubliées et les marque-pages improvisés, j'ai retrouvé... un tas de petits bouts de papiers, de notes hâtivement griffonnées lors des multiples permanences de nuit qu'impose le service désintéressé du localier que je fus jusqu'à il n'y pas si longtemps.
La permanence de nuit, c'est: un téléphone portable à portée de main, avec un crayon, du papier, au cas où. Et quand le téléphone sonne – pompiers, correspondant... –, ça donne d'abord une bonne décharge d'adrénaline, un grognement de la malheureuse qui a accepté de partager la vie du localier, et ces gribouillis:
«SP Metz
Woippy
Rue P. et M. Curie
3h34»
 
«23h20 - Autoroute VL seul
Freyming * A4
Stbg -> Paris
VL FEU
échangeur Saint-Avold
2 blessés légers
»
«4h20
Feu parking souterrain
Hôtel Ibis Pontiffroy
+sieurs voitures
-évacué 1 immeuble»
A chaque fois, normalement, le coup de fil lance toute une mécanique. Appel vers d'autres pompiers, à la gendarmerie, pour savoir si la chose est sérieuse. Appel au collègue photographe qui, lui aussi, dort d'un œil, et au secrétaire de rédaction si le journal n'est pas encore bouclé. Et quand il le faut, extraction complète du lit, bisou à qui vous savez, «Ne t'inquiète pas, ce n'est pas loin, je reviens très vite...», rhabillage à la va-vite, et ballade plus ou moins enjouée dans la nuit. Puis, s'il est encore temps pour attraper l'édition du lendemain, une alternative: retourner vers l'ordinateur pour taper ce qu'il faut de texte; ou communiquer à Christine, François, Jean-Luc ou quelque autre vaillant veilleur de la rédaction les éléments nécessaires à l'entrefilet. Et retour vers la douceur des draps; mais en général, la nuit est fichue. (Merci, au passage, aux inventeurs du téléphone portable et de l'internet. On a connu des temps plus difficiles.)

Pourquoi tout ça? C'est le fait divers, la meilleure école du plaisir masochiste de l'actualité. Que le début d'incendie de la fin de soirée, l'accident de la route, la mort suspecte soient au petit déjeuner des lecteurs. Et puis, à chaque fois, même si on ne le dit pas, on espère un peu qu'on va tomber sur la catastrophe du siècle, celle qui fera la Une pendant au moins... trois jours. Oui, c'est absurde, et je l'avoue, après vingt ou vingt-cinq ans de cet exercice, on apprécie de passer à autre chose. Mais cette excitation qu'on a tant de fois ressentie malgré la fatigue, malgré l'envie de rester au pieu, malgré tout, cette excitation inexplicable et un rien perverse, ça restera toujours le moteur de ce métier.


Je n'en suis plus et nous sommes au moins deux à en être très satisfaits.  Je prendrai bien garde à ne pas me mêler aux technocrates qui, ayant tout oublié du calepin depuis qu'ils réfléchissent dans des bureaux, sont capables d'expliquer doctement aux localiers ce qu'ils doivent faire pour éviter les ratages. Alors, que cette chronique soit juste un amical clin d'œil à la dizaine de collègues qui, chaque nuit, dorment avec le téléphone à portée de main.

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