mercredi 29 avril 2009

La Sarkozie est une épreuve,même en province !

La préfecture du département où paraît le journal qui m'emploie a eu l'honneur, la semaine dernière, de recevoir le secrétaire d'Etat à la Fonction publique, André Santini, venu vendre aux fonctionnaires du cru les charmes de la « révision générale des politiques publiques ». Ce qui a donné lieu à un sketch qui nous surprend encore, même si nous en avons déjà connu beaucoup en matière d'autocensure, tentative de censure et amicales pressions. Allez, je vous raconte.

Ça commence le jeudi. Mon rédacteur en chef adjoint préféré (il n'y en a que deux, c'est facile) a reçu un coup de téléphone du service de presse du ministère des Finances, dont dépend le secrétaire d'Etat à la Fonction publique. Service de presse qui l'informe du déplacement prévu et lui propose "en exclusivité" (!) une interview de Santini. Interview, façon de parler: on écrit les questions, on les envoie par mail et le ministère nous réexpédie les réponses. Saine réaction de mon rédacteur en chef adjoint vénéré : non, merci, on préfère avoir Santini au téléphone et noter nous-mêmes les réponses. Je vous explique le truc : on sait très bien que lorsqu'on prend des réponses écrites, elles ne sont pas rédigées par l'interviewé, mais par ses conseillers, et lues et relues par tout un staff. Autant proposer au gouvernement d'écrire lui-même le journal, quoi. On s'est encore fait avoir comme ça il y a deux ou trois mois par le cabinet de Roselyne Bachelot, et j'avais alors informé mes rédacteurs en chef, adjoints ou pas, que je ne marcherais plus dans cette combine. Message reçu, apparemment.

Grognements du « chargé de presse », que nous appellerons Benjamin; mais, bon, finit-il par craquer, puisque vous y tenez... Je passe les détails, mon adorable rédacteur en chef adjoint me refile le bébé, le rendez-vous téléphonique est calé pour le vendredi à 10 h, etc. Seulement, me dit tout à trac le Benjamin, il faut qu'il puisse relire le texte avant parution. Mon inestimable rédacteur en chef adjoint avait dit oui, mais il avait oublié de m'en avertir. Bon! OK, admetté-je avec une patience qui m'étonne encore, mais si il y a des corrections, elles ne porteront que sur des chiffres ou des termes administratifs que j'aurais pu mal comprendre. D'accord ? D'accord, pas de prob' !

L'entretien, que je prends soin d'enregistrer sur mon vieux dictaphone, se déroule tout bien, je transcris le tout, un poil de mise en forme, et voilà. J'expédie le paquet à mon Benjamin…

Je pense qu'à ce stade du récit, ce n'est pas la peine de vous faire un dessin : lundi matin, je trouve dans ma boîte mail l'interview toute réécrite, avec des tas de phrases que Santini n'avait pas dites et, à l'inverse, sans un certain nombre de termes qui figurent bien sur mon magnétophone. Du genre « foutoir » (pour qualifier l'administration française) ou « remettre de l'ordre » (pour résumer un aspect de la réforme). Illico, j'informe mon brave Benjamin, avec copie à mon sémillant rédacteur en chef adjoint (je commence à manquer d'adjectifs), qu'il n'a pas respecté nos conventions et qu'il peut donc aller se brosser : « Je vous rappelle toutefois que nous avions convenu que les corrections ne pourraient porter que sur des aspects techniques ou administratifs ; nous conserverons donc l'essentiel des formules utilisées par M. Santini, en nous reportant au verbatim de l'interview. »

Mais c'est qu'il est tenace, le Benjamin ! Durant toute la journée, il nous assaille de coups de fil, en protestant qu'il est « responsable de la parole de l'Etat », qu'il doit respecter un « protocole », que ceci, que cela... Mon inestimable rédacteur en chef adjoint a tenu bon, et malgré un dernier mail comminatoire parvenu à la rédaction à 20h30 (« Vous ne pouvez publier l’interview d’André Santini sans notre validation. Merci de publier l’interview validée et envoyée vendredi 17 avril en fin de journée et seulement cette version. »), on publiera bien dans l'édition du mardi la vraie interview. Qui, d'ailleurs, ne comporte vraiment aucune révélation susceptible de me donner le Pulitzer.

Voilà une petite histoire assez édifiante sur les pratiques de la Sarkozie. Benjamin avait en effet raison sur un point : la quasi-totalité des confrères, surtout nationaux, respecte sa règle du jeu et ne publie les paroles des éminences qu'avec imprimatur. En outre, aujourd'hui, non seulement ces interviewes « officielles » sont revues avant publication, mais elles sont soumises au préalable au contrôle du service de presse du Premier ministre lui-même. Bref, la mission d'information de la presse devient un acte de communication gouvernementale. Et les équipes des ministres tombent des nues quand on leur oppose une résistance, si infime soit-elle. Alors, sur ce coup-là, merci à mon respecté rédacteur en chef adjoint qui n'a pas cédé à la facilité. Et dire qu'avec tout ça, on n'a même pas fait tomber le gouvernement !

1 commentaire:

  1. Je ne raconterais pas nos propres anecdotes, mais je crains que la situation n'aille pas en s'arrangeant... Remarque, c'est vrai également d'autres partis. Y compris localement. Et toutes proportions gardées.

    RépondreSupprimer