jeudi 18 mars 2010

A tu et à toi

Il y a, dans la ville où je vis et où je travaille, un député particulièrement jovial. Tellement jovial qu'on surnomme souvent cet ancien médecin «le bon docteur». Je ne dirai pas si le bon docteur est, à mon sens, un bon ou un mauvais député; si je pense à lui ce matin, c'est en raison d'une particularité précise: sa propension à tutoyer tout le monde, et particulièrement les journalistes, dès qu'il connaît son interlocuteur depuis plus de cent vingt secondes.

Personnellement, cette habitude m'agace au plus haut point. Non seulement parce qu'on n'a pas gardé les cochons ensemble — d'ailleurs, je n'ai jamais gardé de cochons — ; mais aussi par ce qu'elle révèle de la conception que peuvent se faire les hommes (et femmes) politiques de leurs relations avec les journalistes. Un cocktail de compréhension mutuelle, de complicité, voire d'une sorte de confraternité...

Et encore: que les politiciens tentent de séduire les journalistes, ça peut se comprendre. Mais je suis plus inquiet encore de l'inclination de pas mal de journalistes des deux sexes qui, eux aussi, pratiquent le tutoiement à outrance. (Je ne parle même pas de celles et ceux qui épousent les élus ; là, on est dans une autre dimension.) Il y a de nombreuses raisons à cela. Lorsqu'on rencontre à longueur de semaine les mêmes interlocuteurs, des connivences se créent. Mais il y a aussi, parfois inconsciemment, la griserie de se croire tout proches du pouvoir. Et encore l'illusion d'une espèce d'égalité, de fraternité... Comme si, d'une certaine façon, on faisait le même métier ; comme si on partageait un univers privilégié, le monde de ceux qui savent et qui peuvent.

En réalité, les journalistes qui tombent dans ce panneau sont victimes d'une grave illusion. Soyons réalistes: les politiciens sont généralement assez avisés pour jouer de cette naïveté de leurs interlocuteurs, qui les instrumentalise et les manipule. Il ne faut pas rêver; le bon docteur qui vous tape sur le ventre ne vous lâchera pas pour autant une info qui ne servirait pas ses intérêts ou ceux de son camp.

J'observe d'ailleurs le même phénomène chez quelques fait-diversiers, qui finissent par s'identifier aux policiers, aux magistrats, aux avocats qu'ils fréquentent. A force de vouloir comprendre et partager les préoccupations des flics, on finit par perdre son esprit critique.

Je ne vais pas jouer les supermen. Je l'avoue: je tutoie, moi aussi, trois ou quatre politiciens, de gauche et de droite. Peu, en vérité, pour lesquels j'éprouve une réelle sympathie personnelle. C'est un peu la quadrature du cercle. A nous tous, chères consœurs, chers confrères, d'être vigilants!

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